LA GRANDE MUTUELLE DE DÉVELOPPEMENT

ÉCONOMIQUE SOCIAL CULTUREL ENVIRONNEMENTAL

DE LA RÉGION DU BÉRÉ

BADEMA - TOUS PARENTS - FRATERNITÉ

ERADIQUER « L’ESCLAVAGE PAR ASCENDANCE » ET SES SEQUELLES DANS LE BERE

Pour défendre les droits et le bonheur de ses adhérents, La Grande Mutuelle BADEMA a bien voulu prendre en charge un sujet extrêmement sensible et complexe et qui explique tant de réticences et de résistances à l’aborder. Il s’agit de l’«esclavage par ascendance» qui, au nom d’une certaine culture dont se revendiquent les auteurs, cause des souffrances indicibles en portant atteinte à l’honneur, à la dignité, aux biens et à l’intégrité physique des personnes dans toutes les localités de la Région du BERE. Avouons-le maintenant et aujourd’hui : l’esclavage fait partie des pratiques ancrées dans nos sociétés de telle sorte qu’il y a certains qui pensent que c’est normal. Et pourtant, rien ne peut justifier l’esclavage, qu’il s’agisse de culture, de tradition ou de religion

Nous constatons avec consternation et indignation que l’Etat ivoirien et ses services décentralisés et déconcentrés ont failli à leur mission en ne reconnaissant pas l’existence de cette pratique et en ne fournissant pas des réponses appropriées à ce phénomène pour protéger et rétablir les victimes dans leur droit.  Les habitants de ces localités, refusant d’assumer ce statut réducteur dans leur région, ont pu tester la sincérité de notre Etat sur ses idéaux de liberté, de fraternité, de paix, d’égalité, de respect des droits de l’homme et des droits humains qu’il prône en longueur de journée.

Nous accusons et condamnons avec la dernière énergie les élites de la Région du BERE qui sont bien informées des velléités esclavagistes mais gardent un silence troublant pour protéger des intérêts de classe. N’est-ce pas un déni des fondements et des principes mêmes de notre République qui reposent sur un ensemble de valeurs d’ouverture et d’inclusion ? Pour les partisans locaux des hiérarchies sociales historiques, avec la complicité d’une partie des intellectuels de ces localités, c’est un héritage tabou qu’il est honteux d’aborder ouvertement car il risque de délégitimer certaines élites dirigeantes actuelles qui ont accepté de fermer les yeux sur les tentatives de dissimulation de ces pratiques.

L’« esclavage par ascendance » et ses séquelles existe bel et bien dans la Région du BERE et continue à avoir des effets dévastateurs sur la vie et les aspirations de milliers de ressortissants autochtones et allogènes. Le caractère systémique de ce phénomène s’observe d’ailleurs dans toutes les sphères de nos sociétés traditionnelles. Pourquoi les chefs traditionnels, les chefs religieux, les porte-voix de nos communautés, bref les agents sociaux traditionnels font ils semblant de ne pas voir la triste contemporanéité de pratiques esclavagistes semblant relever d’un autre âge qui frappent durement les femmes, les hommes et les enfants ?

La Région du BERE est l’épicentre de l’esclavage au nord de la Côte d’Ivoire. Ce sont des sociétés fondamentalement esclavagistes. Elles sont foncièrement inégalitaires et très injustes. Les idéologies qui sont nées de ces sociétés esclavagistes pour en justifier l’injustice n’ont pas disparu. Il faut savoir qu’elles sont ancrées dans la tête, le cœur, la culture et dans l’organisation sociale de nos communautés. Si le commerce des esclaves n’existe plus aujourd’hui, les pratiques d’exploitation sociale et économique héréditaire de type « esclavage par ascendance » s’observent encore au sein des localités du Nord. Dans ces sociétés la notabilité, l’honneur et la notoriété sont encore basés sur des hiérarchies généalogiques liées à l’histoire de l’esclavage.

Mais qu’est-ce que l’«esclavage par ascendance» qui ressort avec davantage d’évidence aux yeux du public ? C’est le fait pour un individu de « naître en esclavage parce que ses ancêtres ont été capturés en esclavage et que sa famille « appartient » depuis lors aux familles esclavagistes ». Ce statut est transmis principalement par la lignée maternelle, afin de garantir que les générations futures naissent en esclavage. Certain.e.s n’ont peut-être même pas d’ancêtres qui ont été capturé.e.s et vendu.e.s comme esclaves, mais qui se sont vu.e.s attribuer le « statut d’esclave » après avoir déménagé dans une nouvelle communauté et avoir été traité.e.s comme des personnes d’un statut inférieur à celui des personnes au pouvoir.

Le « statut d’esclave » s’acquiert d’abord par le lien matrilinéaire : Cet esclavage consiste à être considéré comme esclave par le canal de la mère. Par exemple, si un noble se marie à une « esclave », les enfants issus de ce lien seront considérés comme esclaves et traités comme tels. Ensuite on est esclave par le lien patrilinéaire : Cet esclavage consiste à être considéré comme esclave par le canal du père. – Enfin on devient esclave par le lien tutoriel. Cet esclavage consiste à être considéré comme esclave par le lien hospitalier. A titre d’illustration, les personnes venant d’ailleurs et qui choisissent de s’installer dans ses contrées se voient offrir l’hospitalité. On leur donne une parcelle pour cultiver. Si elles acceptent, elles seront considérées comme « esclaves » par les autochtones.

La pratique de l’«esclavage par ascendance» est appelée « djonya » ou « kongossoya » par la classe historiquement dominante, les « nobles ». On parle alors de « djon » ou « kongossoka » c’est-à-dire « esclave » dans les sociétés de la Région du BERE. Ce phénomène occupe une place centrale. Il existe même au BERE des quartiers DJON-SO-LA (quartier des exclaves). Les gens n’en parlent pas beaucoup. L’ordre social est prétendument pacifique. Le visiteur ne verra pas des gens menottés, fouettés, attachés ou vendus. La violence physique correspond davantage à ce qui s’est passé en Amérique. Dans les sociétés du Nord de la Côte d’Ivoire il est invisible, illisible, inintelligible mais infiniment omniprésent et pesant. Et pour cause : l’intimité de la vie commune et les liens familiaux tissés au fil du temps rendent encore plus difficiles la reconnaissance de pratiques intrinsèquement violentes dans un espace aussi familier. D’autant plus que cette intimité exploitante s’est construite sur plusieurs générations, où elle est restée inaperçue et approuvée par les détenteurs du pouvoir qui en bénéficient, sous couvert de lien de parenté, de domesticité, de mariage et de confiage d’enfant.

Les personnes ou les communautés qui résistent à l’esclavage sont souvent soumises à un isolement physique ou social et à des restrictions de mouvement de la part de leurs « maîtres ». Cette situation génère des vagues successives de déplacements forcés des population traitées d’« esclaves » vers les villes et les pays voisins. Et même constitue une sérieuse menace pour la relative stabilité des pays limitrophes et un terreau fertile ouvrant la voie à l’émergence de groupes extrémistes à l’affût.

Les conséquences de l’«esclavage par ascendance» sont dramatiques pour nos sociétés. C’est une véritable tragédie pour la Région du BERE. Des fractures sociales profondes, des actes de violence, des agressions, la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, les humiliations publiques, les insultes, les intimidations, les séquestrations et les viols commis quotidiennement par les « maîtres » à l’encontre des « esclaves », le refus d’accès aux services sociaux de base (notamment les infrastructures d’approvisionnement en eau telles que les pompes ou les puits, les écoles, les infrastructures sportives et sanitaires), et le refus d’accès aux commerces ou aux champs.

La Grande Mutuelle BADEMA est une organisation de la société civile opérant dans la Région du BERE et ses alentours. C’est une force avec laquelle on peut et doit compter dans le rétablissement et la consolidation de la paix et de la quiétude dans notre pays. C’est une mutuelle de solidarité riche de promesses.

L’« esclavage par ascendance » et ses pratiques assimilées qui perdurent, sous diverses formes, dans nos localités ne sont pas seulement un problème social qui globalement brime des vies, détruit des rêves et ronge le tissu social. Toute la société en paie le prix.

Il est également une question intrinsèque aux droits de la personne. Le respect des droits humains et leur protection par l’État ne sont pas une œuvre de charité. Nous appelons donc à plus de solidarité et moins de naïveté sur cette question et sa mendicité forcée. Reconnaitre ce phénomène structurel dans son ensemble comme un enjeu systémique et collectif est le premier pas à prendre pour l’enrayer.

En raison de ses conséquences désastreuses en termes de vulnérabilité et de marginalisations économiques et historiques, nous sommes outillés pour proposer des mesures concrètes pour remédier à cette crise durable de la problématique du « djonya » ou « kongossoya ».

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